Elle fronce un sourcil, anxieuse.
Torse nue devant le miroir, elle ausculte sa poitrine. Ses
doigts parcourent la peau souple,
palpant avec une certaine frénésie les courbes de son sein gauche.
Ils s’attardent sur un point. Elle masse en profondeur de son
pouce la zone.
La boule qu’elle sent à l’intérieur fait écho à celle qui
vient de se former au niveau de sa gorge. Son souffle se fait court. L’émotion
la surprend et son regard devient embué.
Elle se précipitera dans ses bras à peine sorti du lit. En lui
caressant ses cheveux, il lui susurra que tout ira bien.
Il allumera le pc à la recherche d’une adresse d’un centre
pour mammographie.
Elle regarde sa tante dormir paisiblement. Elle a été sa
mère pendant de longues années, elle sait qu’elle héritera de la maison lorsque
la douleur sera partie. Mais elle s’en fout. Elle contemple ce visage fatigué,
dépourvu de cheveux, qui est si amaigri.
Elle voit toujours ce visage radieux, ce grand sourire avec
cette rangée parfaite de dents blanche, la permanente aux cheveux d’albâtre.
Elle sert sa main, essayant de ne pas trop l’écraser sous la
force de son amour… Elle est si faible et fragile.
Elle sent une légère
- oh combien légère – pression dans la paume de sa main. Elle
s’essuie frénétiquement les yeux afin de
chasser les larmes qui lui brouillent la vue.
Est-ce bien un battement de paupières ? Les lèvres desséchées se mettent en
mouvement lentement. Elle se penche vers
sa bouche et colle son oreille tout près.
Elle caresse longuement le crâne dégarni avant de
l’embrasser.
Quelques jours après elle sera transférée à l’hôpital et au
milieu d’une nuit, l’appel résonnera funestement dans la maison, réveil
cauchemardesque pour l’annonce d’une
longue nuit sans rêve pour elle.
Monsieur, c’est la prostate. Nous pouvons traiter très
rapidement à ce stade et les chances
d’un rétablissement complet sont très bonnes. Il sera nécessaire bien sûr de
suivre un traitement drastique et déplaisant mais la survie est à ce prix.
Ouais et déplaisant est le moindre mot pour le décrire mais
oui, la survie est à ce prix.
Il ne veut pas faire partie de cette liste de noms barrés
dans un calepin d’adresses.
Il ne fera pas partie des petites annonces dans les colonnes
des obituaires où l’on dira qu’il est décédé d’une de ces longues maladies…
Comme si ne pas la nommer amoindrissait la peine, la douleur des traitements,
de la perte de tout son être, sa virilité, ses cheveux, de tout ce travail
qu’il n’a pas encore pu accomplir. Son corps ne le trahira pas. Il va lutter et
il surmontera cette épreuve.
Et il le fit.
On dit que c’est héréditaire et que ça court dans la
famille. Telle sœur, telle sœur.
Insidieusement, elle attend son heure et frappe. La maladie. Oh elle se dit dans ses derniers instants qu’elle a eu une belle et longue vie. Des enfants qui prospèrent et qui ont engendrés eux - mêmes de beaux enfants.
Insidieusement, elle attend son heure et frappe. La maladie. Oh elle se dit dans ses derniers instants qu’elle a eu une belle et longue vie. Des enfants qui prospèrent et qui ont engendrés eux - mêmes de beaux enfants.
Elle espère seulement qu’ils feront attention à eux. Car ce qui la ronge est soumis à des
prédispositions génétiques. Sa sœur déjà a été emportée. Ils devront faire attention,
surveiller de près ces signes. On ne sait pas vraiment comment on l’attrape ou
comment ça se déclenche. On connaît surtout les facteurs qui augmentent les
risques et les symptômes. Faites attention mes enfants. Faites attention aux
signes avant-coureurs afin d’essayer de prendre la maladie de court.
Avec sa boule à zéro, il a souvent été la risée de ses
camarades. Pourtant la maîtresse avait bien expliqué que le traitement
attaquait les cellules à développement rapides… celles méchantes qui essayent de se grandir et de se multiplier
dans son corps… comme les cellules des cheveux. C’est pour ça que ça tombe
beaucoup.
Mais après X-men, tout le monde trouve ça cool parce qu’il
peut faire le professeur X à la récré.
Ils étaient à deux doigts de partir en week-end lorsque le
téléphone sonna. C’était un ami. Il leur raconta le dîner de la veille. Il
s’est levé, on a cru qu’il avait un malaise.
Il s’est effondré. Il a vomi avant de perdre connaissance. Il
a été emmené d’urgence à l’hôpital. Leucémie fulgurante. Il est décédé dans la
nuit. Ils partirent en promettant d’appeler sa veuve.
Entourée par sa famille les jours qui suivaient, le plus dur
reste la perspective de ces futurs petits déjeuners où ils discutaient de l’état
du monde ou du temps, face à cette chaise dorénavant vide.
L’auteur regarde le vieil album usé lecture après lecture.
Une piéta entourée de super héros.
L’une de ses premières lectures, l’une des plus émouvantes.
Comme quoi même un super héros peut mourir. Toutes les batailles ne peuvent pas
être gagnées.
Et ce n’est pas un plan diabolique, une mort instrumentalisée par une quelconque force surnaturelle ou machiavélique qui vient à bout de ce capitaine merveilleux.
Et ce n’est pas un plan diabolique, une mort instrumentalisée par une quelconque force surnaturelle ou machiavélique qui vient à bout de ce capitaine merveilleux.
Certains l’appelent
The blackend ou the inner decay. Les habitants de la terre l’appellent
le cancer.
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