Je suis allé courir ce matin.
Ce matin samedi 14 novembre 2015.
On pensait avoir tout vu avec les attentats de début d'année de Charlie Hebdo. Mais non.
Pourquoi suis-je allé courir ? Parce qu'il s'agit de la routine du week end ?
ça pourrait; mais non. ça fait des mois que je dois m'y remettre, je suis en dessous de tout niveau forme.
Je m'élance dans les rues de Paris. Elles sont quasi vides ce matin. On dirait un jour férié. Quelques personnes , des déménageurs, un agent de voirie.
Des rues que j'imagine, pas si loin que ça, maculées de sang jonchées de débris et des cadavres de mes compatriotes. Du carnage dans un concert auquel j'aurais pu assister. Mes pensées vont aux familles.
Dans les oreilles du Threshold et pourtant c'est d'autres morceaux qui viennent en refrain à mes oreilles.
"Terror in Rue de St. Denis, murder on the periphery
Someone else in someone else's pocket
Christ knows I don't know how to stop it
Poppies at the cenotaph, the cynics can't afford to laugh
I heard in on the telegraph there's Uzis on a street corner
Where do we go from here, where do we go from here"
Chantait Fish avec Marillion dans les années 87. (White Russian)
Pourquoi suis-je allé courir ? Pour échapper aux médias ?
Non mais je ne pouvais plus rester non plus chez moi avec ces médias qui passe en boucle les informations, essayant d'en tirer quelque chose. Les médias sociaux m'ont tenus éveillé une grande partie de la nuit comme tout à chacun. Je ne peux pas rester encore collé à tout cela sans que l'anxiété me frappe.
"I watch the TV every night
I stay awake by satellite
I hope and pray the nightmares
Stay away today" chante Fish dans mes oreilles.(Credo)
Arrivé en haut du Sacré-cœur, j'aurai bien pris une photo de cette ville silencieuse dans le réveil sanglant. Mais je n'ai pas mon portable qui est resté chez moi à se recharger. A plat d'avoir reçu et envoyé textos et messages via facebook, savoir et regarder en espérant qu'un nom connu ne surgisse pas porteur d'une mauvaise nouvelle durant cette longue nuit. Même si je sais que les 6 degrés de séparation de Milgram finiront par me rattraper...
Il y a presque autant de policiers et de militaires que de touristes et c'est à la fois peu et beaucoup.
En haut des marches, je sens la voiture de la préfecture de Paris qui s'arrête derrière moi.
Je leur fais un petit up du pouce avant de reprendre ma course le long des marches.
Pourquoi suis-je allé courir ? Pour me vider la tête ?
J'ai
l'esprit d'escalier mais là en montant et descendant ces marches, je
pense à ce Bataclan. J'y suis allé assez régulièrement. Je revois la
salle. J'y étais quasi il y a un an, le 5 novembre 2014. J'imagine bien
d'après les récits des survivants le tableau. Comment aurai-je réagi ?
M'en serais-je sorti ?
La journée avait été mauvaise, je pestais mais réaliste, y avait rien de grave... Là tout tourne et retourne, les possibilités, l'imagination tandis que mes muscles tirent sous l'effort.
"It's just one of those days
When you know that
Something's gonna happen" (Oui encore du Fish...)
Pourquoi suis-je allé courir ? Pour me défouler de la pression et de l'émotion ?
Je ne crois pas. Mon corps souffre autant que mon âme tandis que je remonte lentement les marches avant de repartir vers chez moi. Je repense aux deux grandes guerres. A ceux qui se sont battus face à l'adversité, sur les champs et dans les rues, aux fous qui veulent tuer pour rien, qui visent des innocents, car hier, ce n'était pas que des dessinateurs. c'était des moi, des vous. des gens au restaurant, à un match, à un concert...
"Paris is burning
I heard it on the radio
Paris is burning
But the people refuse to go" me rappelle Pallas.
Je comprends ceux qui ont peur. Ceux qui veulent partir et fuir. Loin, en banlieue .En Beauce, en Suisse.
Je les comprends et j'espère que cela aussi aidera à comprendre ces gens qui viennent chez nous par centaines parce qu'au final, ils ont vécu la même chose mais peut être même tous les jours.
Cet ambiance me refait penser à ce speech de Churchill (qui ouvre souvent les concerts de Maiden) "We shall never Surrender." (ce qui , traduit par l'esprit frondeur français à la Desproges peut se traduire par' ne pas se laisser abattre'.)
Pourquoi suis-je allé courir ?
A mon retour les regards furtifs des gens un peu partout, essayant de croire à un retour de normalité.
Je ne sais quoi faire. Je me sens en colère, triste, effrayé mais par dessus tout inutile, helpless.
Alors je me souviens de la devise de cette ville que j'aime, que j'habite et qui hier a reçu un terrible coup de poignard. Je repense aux Nautes et je fais simplement ce que je voulais faire. Ce que j'avais prévu de faire.
Bien sûr l'ambiance n'est pas la même et de nombreuses choses changeront. mais ce matin en tout cas il n'auront pas la victoire de la peur sur moi.
"I'm at the line - I see it all
I am Nauticus now
And so much more
I am all you know" Pain of Salvation qui porte bien son nom
Je suis allé courir parce que c'est ce que je voulais faire et que je ne laisserai pas la terreur dicter mes actes.
Comme ma ville, je suis battu par les flots de la peur mais je refuse de sombrer.
Fluctuat Nec Mergitur.
1 commentaire:
Salut JB, j'aime beaucoup ton article.
Et je comprends ton état d'esprit. C'est bien. Continue !
Fred
Enregistrer un commentaire