jeudi 23 avril 2015

Immigrant song (périple pour la terre promise)

J'ai décidé de m'en aller.
Partir de ce pays qui n'a plus rien offrir.
 Nous avons cru pendant un moment qu'avec le changement de régime nous allions enfin pouvoir gouter à la vie, la Vraie. Celle que l'on voit à travers les émissions captées à la télé.
Je veux aussi manger de la pizza sous le soleil de la place du Colisée.
Je veux les gelati, les pastas.
Je veux vivre aussi la dolce vita du Monde occidental, pouvoir regarder passer ces femmes aux cheveux de jais.
Je vais y aller et je trouverai un travail et je pourrai faire venir maman et Aïcha.
Il n'y a pas d'autres alternatives. Nous allons mourir si nous restons là. Les hommes deviennent de plus en plus fous et ne peuvent plus s'arrêter.
Ils ont pris les armes mais ne savent plus les lâcher pour reprendre l'outil de travail.
Ils ont replacé l'ordre dictatorial par le chaos soit disant démocratique.


Je n'ai pas d'autre choix.
 Mon cousin m'a fait rencontré un de ces passeurs qui peuvent arranger des transports à travers la Méditerranée.
On entend toujours plein d 'histoires sur les gens, que personne en serait revenu mais qui voudrait revenir une fois arrivé de l'autre coté?



Le voyage m'a couté le reste de mes économies. J'ai du revendre la voiture mais de toute façon elle ne m'est plus utile ici.
Le voyage est prévu dans quelques jours. Il me reste plus qu'à dire au revoir à tout le monde , à bientôt à Aïsha et à Maman. Et embrasser une dernière fois tes yeux Zohra.
Je te dis à très bientôt.

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Ils nous ont fait monter de nuit dans un grand chalutier dont la silhouette se découpe sur la ligne d'horizon de la plage.


Je ne sais pas combien nous sommes mais la plage est recouverte. Il y a des hommes, des femmes, des enfants. On parle beaucoup, je ne connais pas tout les dialectes que j'entends ici.


Des hommes  nous poussent à rentrer dans le bateau. Je ne le vois pas très bien mais je sens sous mes pieds le métal froid et irrégulier.
On nous descend dans la cale. Là pas de banquettes, quelques hamacs et des malles en fer. Les gens essayent de s'asseoir tant bien que mal dessus. Mais ils s'entassent plus qu'autres choses. Une femme essaye de faire de la place pour des enfants, l'un qui ne doit pas avoir plus de quelques mois.
ça gémit, ça parle. certains s'échauffent. J'essaye de garder mon calme et de respirer tranquillement.
 Je discute avec un jeune garçon aux incroyables yeux verts qui , je crois comprendre, viens de l’Érythrée. Je n'arrive pas à comprendre son nom.
Le vaisseau craque de partout, c'est sinistre.




Plus tard nous nous partagerons un morceau de pain que l'un des marins, descendu dans la cale, à distribué.


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Je me suis assoupi. j'ai mal au dos. Impossible de savoir quelle heure il est . Personne ne semble savoir où nous nous trouvons et pour combien d'heures encore nous en avons.
Je repense à toi, Zohra, des cheveux bouclés, tes fesses rebondies. Tu me manques déjà tant . Impossible d'avoir une intimité. Les toilettes, ici en bas, utilisées depuis longtemps ne ressemblent plus à rien. Ce n'est pas grave, ce n'est pas comme si nous avions eu un repas de roi arrosé pour ce soir.


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Le navire tangue de plus en plus. le bruit  des machines se fait plus poussé, je crains que nous sommes dans une tempête.
Les enfants se mettent à pleurer malgré les réconforts des adultes qui ne semblent pas plus rassurés. Quelques bébés se mettent à hurler quelques part plus loin dans la salle.
On essaye de monter voir ce qui se passe mais les marins ne veulent pas nous ouvrir.

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La situation se fait plus critique.
 Le navire tangue de plus en plus et craque de plus en plus. de l'eau arrive à nos pieds.
 C'est le début de la panique. Les gens commencent à se presser vers l'escalier qui monte vers le pont. Porté par la foule je tente de suivre le mouvement et je sens sous mes pieds des corps que je suis obligé de piétiner malgré moi.


L'eau monte inexorablement et arrive déjà à la taille des adultes. On essaye de faire passer les enfants en priorité mais la peur enlève toute rationalité.
Nous arrivons enfin sur le pont qui est rempli de gens compressés, serrés.
ça hurle de partout. je ne vois rien, il fait nuit.
Une personne sur le pont hurle de restez calme, que les secours vont arrivés.
Nous sommes entourés des ténèbres que les maigres lumières du bateau ne percent qu'à peine.
De la cale, les cris ne cessent de monter.
Tout à coup des lumières apparaissent au loin sur la mer. Les secours.
L'effet est immédiat. Tout le monde se rassemble sur le coté gauche du navire pour appeler ce bateau encore loin.
Notre vaisseau n'en demandait pas tant.
Il bascule et tout le monde se retrouve propulsé dans l'eau terriblement froide.
Pendant quelques instants je ne sais plus où je suis. La panique me frappe mais j'essaye de me maitrisé. j'ai eu le temps de prendre de l'air et je remonte en suivant les bulles.
Et pourtant où est cette surface, mes poumons commencent à me brûler.
 Je remonte et je tombe sur un obstacle, lourd, pesant. Je n'arrive pas à le bouger ou le contourner.
 J'ouvre les yeux et croise un regard vert familier.
 De surprise, je pousse un cri et ma bouche s'emplit d'eau salée.
Je repousse et repousse frénétiquement le corps qui glisse lentement.
 Je perce enfin la surface et recrache violemment.
Mon estomac se contracte mais je n'ai pas grand chose à en sortir.
 L'air froid brûle mes poumons.
 Je me raccroche par réflexe au corps de l'érythréen.


Je ne vois rien aux alentours.. la mer est glaciale.
 J'entends les cris aux alentours des hommes, des femmes, des enfants qui hurlent.
Pas besoin de traduction. Les cris et les paroles sont les mêmes dans la peur et la détresse.


Je m'éloigne péniblement pour éviter d'être englouti par l'épave qui se dessine sous les étoiles et qui s'enfonce.
Les remous submergent les malchanceux qui pensaient utiliser la structure pour rester à flots.


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J'ai froid, terriblement froid. Mes membres sont engourdis et seules mes lèvres bleuies bougent encore. Autour de moi le silence s' installe progressivement. les cris et les appels à l'aide se font de plus en plus espacés. On gémit, on se laisse aller et l'on glisse lentement dans l'eau.
Ne pas s'endormir, ne pas se laisser aller. Penser à Zohra. Les secours vont bientôt arriver. je vois au loin les lumières.
 Tenir, tenir encore , tenir encore et toujours malgré le froid qui me pétrifie. Tenir pour Zohra. Pour la Dolce Vita. pour le levé de soleil sur le Colisée avec un cappuccino bien chaud.


La lumière s'approche, elle remplit  de plus en plus mon champ de vision. mais elle est très trouble, fluctuante.. C'est la froid qui doit brouiller ma vue, je sens les rayons qui balaye mon corps.


Je suis là ! Je suis là !

 Je tente de lever le bras malgré l'engourdissement.
J'essaye de parler mais mes lèvres ne veulent plus bouger.

 Je suis là.

 La lumière se fait de plus en plus diffuse mais petite.
 Elle se réduit...


Non ne m'abandonnez pas, je suis là, encore vivant!


La lumière se fait plus réduite...ondulante...Je ne sens plus le froid, c'est un bon signe...Zohra, ne m'oublie pas....
La lumière s'éloigne lentement, les ondulations se font rare. Tout devient calme et je flotte dans les ténèbres...Zohra...








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